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dimanche 6 avril 2014

Parlons sexualité



Si les personnes handicapées revendiquent une sexualité, ce terme, sexualité, prend toutes sortes de directions et s’affiche plus que jamais comme un terrain vague semé des tabous et d’une volonté consciente ou inconsciente d’ignorer cette situation pour le moins délicate. Je veux faire l’amour, tel est le leitmotiv qui se promène et s’affirme dans les couloirs de la non tolérance d’un pays où la prostitution est illégale. Ignorance ou stupidité ? Un problème qui, ne concernant pas la population dite valide, devient une plaie, un obstacle contournable par une loi hypocrite.
Les assistantes sexuelles ? Pourquoi pas, je dirais même plus, heureuse d’en faire connaissance. La sexualité, considérée comme l’un des besoins primordiaux tels que manger ou boire, ne se limite pas  au monde des non handicapés. La nature humaine est quand même incroyable puisque la plupart des personnes en situation de handicap n’ont pas perdu cette fonction, cette nécessité ultime qui est celle de la reproduction.
Malheureusement, du moment précis où vous devenez l’une de ces personnes, vous passez de l’autre côté, dans cet espèce de no man’s land intransigeant dont les étiquettes sont fort lourdes à porter. Essayons un peu d’imagination. Pensez à toutes ces choses que vous aimez, que vous faites pendant la journée, ces choses qui vous caractérisent, cette petite touche de féminité, cette barbe de trois jours, ce jeans moulant, ce garçon en classe, footing à sept heures du matin, ce sex-appeal des que vous détachez vos cheveux…
Et puis un jour, handicap. Ce qui est le plus terrible dans l’histoire, plus que le handicap en soi, ce que vous êtes toujours la même personne mais pour les autres, vous êtes passé de l’autre côté. Ce côté flou et presque anonyme dont le regard ne se tournera plus. Handicap devient synonyme de débile mentale, de sympathie enfantine, d’être asexué…
Avez-vous vu le film « De rouille et d’os » ? Si ce n’est pas le cas, courrez, allez vite le voir et vous comprendrez peut-être mieux. À un moment donné, Cotillard se fait draguer dans un bar. Elle est magnifique Cotillard, on est tous d’accord ; tout à coup le monsieur en question remarque qu’elle a une canne et il s’excuse. Elle hurle, pourquoi tu t’excuses ? Et il répond je n’avais pas vu que… Et Cotillard, Tu n’avais pas vu quoi ? Pourquoi se fait-elle draguer dans un premier temps et dès que son handicap est découvert elle devient aussitôt quelqu’un qu’on ne drague plus ? C’est quand même incroyable je dirais même extraordinaire.
Mais qu’est-ce que c’est une assistante sexuelle ? En quoi diffère-t-elle d’une prostituée ? Bien que le but soit le même le moyen est abordé tout autrement. Nous parlons thérapie, approche, découverte à un monde souvent totalement méconnu. L’être humain pour se défendre et surtout pour se protéger, se renferme dans une coquille dont il devient le principal prisonnier. Le handicap vous éloigne du monde réel et toutes ces choses qu’un jour vous trouviez normales, deviennent improbables.
À tel point que des thérapeutes doivent intervenir et dans ce cas précis, les assistantes sexuelles. Le concept « prostitution » se divise pour mieux accompagner la personne en détresse. Il est clair que dans une société où des mères sont obligées de masturber leur garçon handicapé de 25 ans, cette solution se veut plausible, d’une évidence seulement tenue en compte par les principaux impliqués.
Sans compter tous les êtres humains touchés par le handicap depuis la naissance et qui n’ont grandi que dans l’entourage familial. Ces personnes qui ont toute leur tête, mais qui sont enfermés dans un corps caricatural, deviennent adultes un jour. Croyez-vous que le désir sexuel n’est pas la ? Rappelez-vous, ces personnes sont comme vous, mis à part cette mauvaise blague de la nature. La tension monte, une violence non évacuée, sans aucun moyen d’être canalisée, prend le dessus. On peut s’habituer à ne pas marcher, à dépendre des autres, à vous faire laver par les autres mais, peut-on s’habituer à nier, à réfuter ce que le corps exige de toutes ses forces ?
Mais plus que de rester coincés dans cette histoire d’assistante sexuelle ou de cette demande illusoirement surprenante de la part des personnes en situation du handicap, d’autres questions en stand by forcé prennent une forme inattendue. Mais c’est quoi faire l’amour ? Peut-on faire l’amour avec une ou un inconnu, thérapeute ou pas ? Non, je ne suis pas en plein fantasme, ou peut-être que oui. Ce parfait inconnu, beau brun aux yeux verts qui vous coince dans une station de lavage et vous fait l’amour sauvagement au milieu des jets d’eau et un tas de mousse… mais ça s’appelle vraiment faire l’amour ? Les anglais font bien la différence entre faire l’amour et avoir du sexe.
Je veux en venir à l’affection, à ce besoin humain d’être touché, caressé, être pris dans les bras de quelqu’un, pleurer sur une épaule autre que celle de ses parents, mais aussi ces échanges anodins avec le reste du monde. Ces minis flirts qui ne durent parfois que quelques secondes, ce regard volé dans le métro, cet échange lors d’un événement culturel, cette impression que tu comptes pour quelqu’un.
Il est possible de séparer sexe et affection, c’est d’ailleurs ce que la télévision américaine nous donne en ce moment à tout bout de champ. Dénouer la technique de toute cette notion d’amour qui l’enveloppe, qui le cerne et d’une façon très animale, prendre du plaisir. Isoler l’acte sexuel de toutes sortes d’émotions ou sentiments.
Le corps d’une personne handicapée ne connaît que les mains des thérapeutes, auxiliaires de vie et parents et même si heureusement toutes ces mains font souvent preuve d’un certain sentiment, voire tendresse, la personne en situation du handicap se retrouve isolée du monde et dans un manque d’affection incommensurable. Affection, selon le dictionnaire, attachement, tendresse.
Ce manque d’affection n’est pas propre uniquement aux personnes en situation du handicap mais dans ce monde devenu numérique et tellement artificiel chacun se promène à la recherche d’une chaleur que seulement un être humain est capable de donner. Alors, pouvez-vous imaginer ce que c’est de devoir payer une personne pour qu’elle vous tienne compagnie ? Demain, de 14 à 15 heures, tu me tiendras compagnie, tu discuteras avec moi et peut-être même qu’on fera une promenade mais à partir de 15 heures cette personne deviendra une parfaite inconnue.
C’est une règle, pas d’autre relation débordant l’heure payée. Le thérapeute ou l’auxiliaire de vie (et dans ce cas je me réfère simplement à tout ce monde qui entoure au quotidien une personne handicapée) ne doit jamais mélanger vie privée et vie professionnelle et vous, entente ou pas, vous faites parti de cette vie professionnelle. Tout semblant d’amitié n’est qu’un leurre, qui s’avère souvent très facile à oublier et dont l’évidence est plus que douloureuse.
Cette assistante sexuelle qui fournit un travail en échange d’un salaire saura-t-elle combler ce vide, cet énorme cratère qui est la demande d’amour ? Il est légitime d’avoir envie de faire l’expérience et encore, c’est malheureux de traiter le sexe comme une expérience et ne pas comme un dû. Je suis persuadée, et cela me rend très triste, qu’un jour, nombreux parmi toutes ces personnes qui ont revendiqué un acte sexuel se rendront compte que ce n’est pas ce qu’ils voulaient vraiment. Ou seulement. Il est tout à fait possible d’écarter la technique de tous ces éléments propres à l’amour charnel mais encore là, il s’agit d’une histoire de choix. Et dans ces cas-là, la question ne se pose même pas. Le choix n’est pas un choix.
Si cet article vous donne envie de faire quelque chose pour une personne handicapée mais vous ne savez pas quoi, je vais vous le dire tout de suite parce que c’est d’une simplicité étonnante. Pas besoin de s’habiller en mère Teresa ou Jeanne d’Arc ; pas besoin de devenir le porte-parole des causes perdues ; pas besoin d’aider physiquement, pas besoin de prendre son cheval blanc à la recherche des handicapés en détresse. C’est simple, juste les considérer, nous considérer, comme ce que nous sommes : des personnes avant d’être des personnes handicapées.
Les a priori sont lourds, la pensée collective est tellement ancrée… mais passer outre le trouble que la différence provoque en nous, tel est le début de l’affection.

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Ta façon de me regarder m’étouffe, ta façon de m’aborder. Tu dis me voir, mais l’image que tu as du handicap voile ce que je suis, ce qui je suis. Ton regard me donne envie de me défendre, de me justifier. Si ton regard devrait plutôt me faire rire par son ignorance, si mon être profond ne s’ébranlait pas aussi facilement devant cette conviction collective horriblement lourde, si j’arrivais à toucher le détachement du bout de mes doits… Je crois que je vais commencer par t’accepter, toi qui ne me vois pas. Accepter ta naïveté, ta maladresse, tes regards compatissants, tes mots qui blessent… ils mes blessent tellement… ton attitude en vers moi…



©Alicia Baca Mondéjar

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