Si les personnes handicapées
revendiquent une sexualité, ce terme, sexualité, prend toutes sortes de
directions et s’affiche plus que jamais comme un terrain vague semé des tabous
et d’une volonté consciente ou inconsciente d’ignorer cette situation pour le
moins délicate. Je veux faire l’amour,
tel est le leitmotiv qui se promène et s’affirme dans les couloirs de la non
tolérance d’un pays où la prostitution est illégale. Ignorance ou
stupidité ? Un problème qui, ne concernant pas la population dite valide,
devient une plaie, un obstacle contournable par une loi hypocrite.
Les assistantes sexuelles ?
Pourquoi pas, je dirais même plus, heureuse d’en faire connaissance. La
sexualité, considérée comme l’un des besoins primordiaux tels que manger ou
boire, ne se limite pas au monde des non
handicapés. La nature humaine est quand même incroyable puisque la plupart des
personnes en situation de handicap n’ont pas perdu cette fonction, cette
nécessité ultime qui est celle de la reproduction.
Malheureusement, du moment précis
où vous devenez l’une de ces personnes, vous passez de l’autre côté, dans cet
espèce de no man’s land intransigeant dont les étiquettes sont fort lourdes à
porter. Essayons un peu d’imagination. Pensez à toutes ces choses que vous
aimez, que vous faites pendant la journée, ces choses qui vous caractérisent,
cette petite touche de féminité, cette barbe de trois jours, ce jeans moulant,
ce garçon en classe, footing à sept heures du matin, ce sex-appeal des que vous
détachez vos cheveux…
Et puis un jour, handicap. Ce qui
est le plus terrible dans l’histoire, plus que le handicap en soi, ce que vous
êtes toujours la même personne mais pour les autres, vous êtes passé de l’autre
côté. Ce côté flou et presque anonyme dont le regard ne se tournera plus.
Handicap devient synonyme de débile mentale, de sympathie enfantine, d’être
asexué…
Avez-vous vu le film « De
rouille et d’os » ? Si ce n’est pas le cas, courrez, allez vite le voir et
vous comprendrez peut-être mieux. À un moment donné, Cotillard se fait draguer
dans un bar. Elle est magnifique Cotillard, on est tous d’accord ; tout à
coup le monsieur en question remarque qu’elle a une canne et il s’excuse. Elle
hurle, pourquoi tu t’excuses ? Et
il répond je n’avais pas vu que… Et
Cotillard, Tu n’avais pas vu quoi ? Pourquoi
se fait-elle draguer dans un premier temps et dès que son handicap est
découvert elle devient aussitôt quelqu’un qu’on ne drague plus ? C’est quand
même incroyable je dirais même extraordinaire.
Mais qu’est-ce que c’est une
assistante sexuelle ? En quoi diffère-t-elle d’une prostituée ? Bien que le but
soit le même le moyen est abordé tout autrement. Nous parlons thérapie,
approche, découverte à un monde souvent totalement méconnu. L’être humain pour se
défendre et surtout pour se protéger, se renferme dans une coquille dont il
devient le principal prisonnier. Le handicap vous éloigne du monde réel et
toutes ces choses qu’un jour vous trouviez normales, deviennent improbables.
À tel point que des thérapeutes
doivent intervenir et dans ce cas précis, les assistantes sexuelles. Le concept
« prostitution » se divise pour mieux accompagner la personne en
détresse. Il est clair que dans une société où des mères sont obligées de
masturber leur garçon handicapé de 25 ans, cette solution se veut plausible,
d’une évidence seulement tenue en compte par les principaux impliqués.
Sans compter tous les êtres
humains touchés par le handicap depuis la naissance et qui n’ont grandi que
dans l’entourage familial. Ces personnes qui ont toute leur tête, mais qui sont
enfermés dans un corps caricatural, deviennent adultes un jour. Croyez-vous que
le désir sexuel n’est pas la ? Rappelez-vous, ces personnes sont comme vous,
mis à part cette mauvaise blague de la nature. La tension monte, une violence
non évacuée, sans aucun moyen d’être canalisée, prend le dessus. On peut s’habituer
à ne pas marcher, à dépendre des autres, à vous faire laver par les autres
mais, peut-on s’habituer à nier, à réfuter ce que le corps exige de toutes ses
forces ?
Mais plus que de rester coincés
dans cette histoire d’assistante sexuelle ou de cette demande illusoirement
surprenante de la part des personnes en situation du handicap, d’autres
questions en stand by forcé prennent une forme inattendue. Mais c’est quoi
faire l’amour ? Peut-on faire l’amour avec une ou un inconnu, thérapeute
ou pas ? Non, je ne suis pas en plein fantasme, ou peut-être que oui. Ce
parfait inconnu, beau brun aux yeux verts qui vous coince dans une station de
lavage et vous fait l’amour sauvagement au milieu des jets d’eau et un tas de
mousse… mais ça s’appelle vraiment faire l’amour ? Les anglais font bien
la différence entre faire l’amour et avoir du sexe.
Je veux en venir à l’affection, à
ce besoin humain d’être touché, caressé, être pris dans les bras de quelqu’un,
pleurer sur une épaule autre que celle de ses parents, mais aussi ces échanges
anodins avec le reste du monde. Ces minis flirts qui ne durent parfois que
quelques secondes, ce regard volé dans le métro, cet échange lors d’un
événement culturel, cette impression que tu comptes pour quelqu’un.
Il est possible de séparer sexe
et affection, c’est d’ailleurs ce que la télévision américaine nous donne en ce
moment à tout bout de champ. Dénouer la technique de toute cette notion d’amour
qui l’enveloppe, qui le cerne et d’une façon très animale, prendre du plaisir.
Isoler l’acte sexuel de toutes sortes d’émotions ou sentiments.
Le corps d’une personne
handicapée ne connaît que les mains des thérapeutes, auxiliaires de vie et
parents et même si heureusement toutes ces mains font souvent preuve d’un
certain sentiment, voire tendresse, la personne en situation du handicap se
retrouve isolée du monde et dans un manque d’affection incommensurable.
Affection, selon le dictionnaire, attachement, tendresse.
Ce manque d’affection n’est pas
propre uniquement aux personnes en situation du handicap mais dans ce monde
devenu numérique et tellement artificiel chacun se promène à la recherche d’une
chaleur que seulement un être humain est capable de donner. Alors, pouvez-vous
imaginer ce que c’est de devoir payer une personne pour qu’elle vous tienne
compagnie ? Demain, de 14 à 15 heures, tu me tiendras compagnie, tu
discuteras avec moi et peut-être même qu’on fera une promenade mais à partir de
15 heures cette personne deviendra une parfaite inconnue.
C’est une règle, pas d’autre
relation débordant l’heure payée. Le thérapeute ou l’auxiliaire de vie (et dans
ce cas je me réfère simplement à tout ce monde qui entoure au quotidien une
personne handicapée) ne doit jamais mélanger vie privée et vie professionnelle
et vous, entente ou pas, vous faites parti de cette vie professionnelle. Tout
semblant d’amitié n’est qu’un leurre, qui s’avère souvent très facile à oublier
et dont l’évidence est plus que douloureuse.
Cette assistante sexuelle qui fournit
un travail en échange d’un salaire saura-t-elle combler ce vide, cet énorme
cratère qui est la demande d’amour ? Il est légitime d’avoir envie de faire
l’expérience et encore, c’est malheureux de traiter le sexe comme une
expérience et ne pas comme un dû. Je suis persuadée, et cela me rend très
triste, qu’un jour, nombreux parmi toutes ces personnes qui ont revendiqué un
acte sexuel se rendront compte que ce n’est pas ce qu’ils voulaient vraiment.
Ou seulement. Il est tout à fait possible d’écarter la technique de tous ces
éléments propres à l’amour charnel mais encore là, il s’agit d’une histoire de
choix. Et dans ces cas-là, la question ne se pose même pas. Le choix n’est pas
un choix.
Si cet article vous donne envie
de faire quelque chose pour une personne handicapée mais vous ne savez pas quoi,
je vais vous le dire tout de suite parce que c’est d’une simplicité étonnante.
Pas besoin de s’habiller en mère Teresa ou Jeanne d’Arc ; pas besoin de devenir
le porte-parole des causes perdues ; pas besoin d’aider physiquement, pas
besoin de prendre son cheval blanc à la recherche des handicapés en détresse.
C’est simple, juste les considérer, nous considérer, comme ce que nous sommes :
des personnes avant d’être des personnes handicapées.
Les a priori sont lourds, la
pensée collective est tellement ancrée… mais passer outre le trouble que la
différence provoque en nous, tel est le début de l’affection.
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Ta façon de me regarder m’étouffe, ta façon de m’aborder. Tu dis me
voir, mais l’image que tu as du handicap voile ce que je suis, ce qui je suis. Ton
regard me donne envie de me défendre, de me justifier. Si ton regard devrait
plutôt me faire rire par son ignorance, si mon être profond ne s’ébranlait pas
aussi facilement devant cette conviction collective horriblement lourde, si
j’arrivais à toucher le détachement du bout de mes doits… Je crois que je vais
commencer par t’accepter, toi qui ne me vois pas. Accepter ta naïveté, ta
maladresse, tes regards compatissants, tes mots qui blessent… ils mes blessent
tellement… ton attitude en vers moi…
©Alicia Baca Mondéjar
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